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Petits Meurtres entre Associés : Peintures murales

Premier chapitre du livre « Petits meurtres entre associés » (2002), tout droits réservés, publié ici avec l’accord de l’éditeur Maxima (Paris).

Ils avaient passé toute la nuit à discuter, à ressasser les mêmes rancunes, à se rappeler le bon vieux temps, les années pionnières, quand l’APJ ne tenait que par la volonté d’une poignée d’initiateurs dont ils faisaient partie tous les quatre.

Le sommeil avait eu raison des deux autres membres du Conseil des Sages. Le sommeil ou le sentiment de ne pas appartenir au même clan.

Enfin entre eux, ils avaient attaqué les bouteilles d’alcool que le grand Domek avait subtilisées au bar, juste avant que le serveur, quasi écroulé sur son comptoir, ne ferme le rideau de fer. Les heures étaient passées, de plus en plus inconsistantes, au milieu des fumées de cigarettes, l’alcool enfermant graduellement chacun dans ses obsessions. Ils s’étaient vautrés dans ces canapés mollassons de bars d’hôtels, s’extirpant difficilement de l’effet ventouse des coussins pour saisir un verre ou un mégot. La mélancolie enveloppait le groupe de vieux combattants à l’évocation de souvenirs guerriers, puis progressivement la conversation s’était tue. Les trois hommes s’étaient levés, titubant chacun vers sa chambre, la laissant seule dans la salle.

Elisabeth Saintofer était restée longtemps, absente, finissant la dernière bouteille, allumant cigarette sur cigarette. Elle semblait usée. Tout au long de leurs échanges, sa voix de scie éraillée par les excès avait dominé celles des autres. Le visage avait dû être équilibré, il était maintenant empâté à l’approche de la quarantaine, parcouru de petites rides lui donnant une expression amère. La bouteille et le paquet de cigarettes vides, elle s’était arrachée du fauteuil, marchant avec difficulté, essayant d’avancer d’un pas assuré devant le veilleur qui s’en moquait. Le corps était lourd et pas seulement à cause des vapeurs de l’alcool, dissimulé sous un tailleur ample de teinte trop claire pour la saison. Elle était sortie, empruntant l’allée encore éclairée par les spots d’extérieur qui menait au parking en serpentant dans les massifs. Elle ne semblait pas frissonner dans l’air froid. Quand elle arriva devant les voitures luxueuses, personne n’était là pour l’empêcher de monter dans le coupé de sport allemand. Dans le petit jour de ce début d’avril, elle baissa la fenêtre, peut-être pour ne pas s’endormir, mit le contact et enclencha la marche arrière.

Dans un virage de la route tortueuse du Mont d’Or, juste avant d’atteindre la vallée, comme la voiture longeait un mur d’enceinte abritant un monastère, la direction ne sembla plus obéir à ses mouvements approximatifs. Elisabeth Saintofer s’endormit subitement comme si l’énergie qui l’animait avait été stoppée, laissant le pied enfoncé sur l’accélérateur. Le coupé bondit, heurta un lampadaire qui le renvoya de l’autre côté de la route, où deux petites sœurs des pauvres attendaient le premier autobus du matin. Les deux femmes, happées par le pare-chocs torturé du bolide, retraversèrent la chaussée, abordant tangentiellement le mur crépi, râpant sur plus d’une dizaine de mètres leurs corps racornis en une longue fresque rouge. L’épave finit sa route écrasée contre un parapet de pont, les deux cadavres – ou ce qu’il en restait – enchevêtrés dans les tôles retournées.

Elisabeth n’était plus là. Au premier choc, son corps avait été éjecté par la fenêtre ouverte, décrivant une courbe balistique parfaite jusque sur la berge en contrebas. Elle gisait dans la première herbe du printemps, les eaux grosses du torrent lui léchant les pieds. Les bras et les jambes faisaient des angles bizarres par rapport au tronc. Un témoin attentif – mais il n’y en avait pas encore – aurait vu que sa poitrine se soulevait faiblement, par saccades, malgré le sang maculant ses vêtements pâles…

Moto magazine n°193 déc 2002/janv 2003

271px-Logo-motomag.svgMotomag n°193 article seul

Sens et suspense

Qui parmi les sympathiques Nez Rouges, les tristes aficionados de la hiérarchie et du profit assassine ses collègues ? Est-ce plutôt l’informaticien aussi génial que cinglé ? Et pourquoi ? C’est dans une peu banale compagnie d’assurances née sous le signe de l’autogestion et générant de louches et de gros profits que Paul Cerezo, alias Cerise, flic de la PJ lyonnaise, va devoir enquêter, suite à un curieux accident de la route. Pas toujours bien vu de ses supérieurs, Cerise est un drôle d’oiseau. Motard en Guzzi 850, anarchiste convaincu, amoureux des belles balades; un personnage superbement humain et sensible, ni superflic, ni looser. ici pas de courses poursuite, de violences superflues ni de coup de feu à tous les coins de rue. On reste dans l’intelligent et le plausible soutenu par une écriture agréable, et le suspense n’en est pas moins prenant.

L’Argus de l’assurance – n°6413 – 13 décembre 2002

argusPORTRAIT : Bruno Perera écrit le livre noir de l’assurance

« Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant pu exister ne serait que pure coïncidence », prévient d’emblée Bruno Perera, auteur de « Petits Meurtres entre associés ».

L’intrigue de ce roman policier ? Dans la Compagnie Assurance Probité & Justice, on ne meurt pas impunément. Le lieutenant de police Paul Cerezo, alias Cerise, en est d’autant plus persuadé que cette société lyonnaise a des règles bien curieuses. Sous prétexte d’autogestion, les associés se sont divisés en factions aux étranges noms de guerre. Entre les nostalgiques de l’idéal libertaire et les tenant de la bonne vieille hiérarchie traditionnelle, la haine est tenace… Flanqué de son adjoint féru d’informatique, Cerise acquiert progressivement la conviction d’avoir affaire à un tueur en série génial…et spécialiste des entreprises. Mais arrivera-t-il à le démasquer avant que tous les Associés y passent ?

Dans la vie, Bruno Perera travaille…dans une société d’assurances. Sourire en coin, il avoue qu’il s’en est largement inspiré pour planter le décor de son polar. Mais les comparaisons s’arrêtent là. L’auteur ne souhaite d’ailleurs pas que le nom de son entreprise soit cité « pour éviter les amalgames ». On est tenté par quelques rapprochements entre Cerise, anarchiste convaincu, et l’auteur. Une fois encore Bruno Perera esquisse un sourire. Il parle volontiers de ses expériences professionnelles passées dans les domaine de l’agriculture, de l’informatique et de l’assurance. Ingénieur agronome de formation, Bruno Perera a fait ses débuts au sein d’une coopérative agricole dans le sud de la France. Peu décidé à se fixer, et encore moins à faire carrière, il a beaucoup voyagé en Afrique, en Iran et au Canada. De ces différents métiers et de ces périples à l’autre bout du monde, il s’est forgé de solides convictions. Il est persuadé, par exemple, que « l’absence de hiérarchie au sein d’une entreprise est source de productivité, parce qu’il n’y a pas de lutte de pouvoir personnelle ». Une organisation qu’il a trouvée au sein de la société d’assurances dans laquelle il travaille et qui lui a paru « extraordinaire » au point de vouloir en faire profiter ses lecteurs. A 45 ans, cet homme du sud, installé aujourd’hui en Bretagne, n’en est pas à son premier coup d’essai, puisqu’il a déjà publié, en 2000, un premier roman policier : « La Marque Brune. » Il aime raconter que pour lui, « l’écriture est une façon de continuer à voyager. » Après « Petits Meurtres entre associés », Bruno Perera n’a d’ailleurs pas l’intention de poser ses valises. Avis aux amateurs.

Marie Cadoux

Liaisons sociales magazine – novembre 2002

thumb.php« ça marche, une société autogérée ? ».

S’il n’est pas spécialiste de l’entreprise, le policier Paul Cerezo va vite le devenir, à mesure que s’accumulent les cadavres chez APJ, une insolente société d’assurances…dépourvue de hiérarchie. De quoi éviter la lutte pour le pouvoir, « consommatrice de temps, d’énergie et donc d’argent » ? Pas sûr : cela semble plutôt attiser les rivalités entre autogestionnaires passionnés et centralisateurs nostalgiques. Dans ce polar bien mené, Bruno Perera évite l’écueil de la technicité (même sur des sujets complexes comme le principe de subsidiarité), mais pas toujours les clichés, tel ce policier qui n’en fait qu’à sa tête…