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Horloge

Atelier d’écriture à Baud – 10 septembre 2002. Exercice : répondre à une petite annonce.

Loperhet : « Ancienne horloge de mur, tout est d’origine, très abîmée, manque la clé de remontage et la vitre. Faire offre. »

Monsieur, votre horloge ne m’intéresse plus.
Elle cadençait les temps anciens qui ont disparus.
Et remplacer la clé ou la vitre n’y changera rien.

Savez vous que le temps s’accélère bien que la Terre ralentisse ?
Productivité, gaspillage des ressources, consommation inepte, désirs vains,

Tous ces objets qui remplissent les poubelles de nos défaites,

Cadence infernale dictée par les nouveaux temps que votre horloge ignorait.

Savez vous que mon temps s’accélère à mesure que je m’enfonce dans les années,

Une heure dans ma prime jeunesse, une seconde en cette vieillesse ?

Monsieur, tous ces temps ne se mesurent pas, ils ne sont que la folie des humains pour découper l’indécoupable afin de mieux le posséder.

Monsieur, finalement, votre horloge m’intéresse, pourvu qu’elle ne soit pas réparée,
Que sa vitre cassée me fasse passer de l’autre côté du miroir,
Que nulle clé ne mettre en branle un mécanisme qui égrainera ma vie,
Parce que je n’aspire plus qu’à l’immobilité.

Fisksätra

En septembre 2016, j’ai participé à une formation en Suède sur la trame verte et bleue. Une semaine de visites et de rencontres à Stochkolm sur ce thème technique. Nous avons visité un drôle de quartier, Fisksätra.

Il y a des mots que tu n’arriveras jamais à maîtriser.

Trop étranges, trop particuliers, trop éloignés du lexique maternel. Oh, tu les reconnais sans hésiter dans un texte, ils te deviennent familiers, un peu comme le nom d’un personnage japonais dans un roman de Murakami. Mais tu serais incapable de les prononcer, encore moins de les écrire fidèlement. Comme un caillou dans ta chaussure, un corps étranger avec lequel tu dois frayer un temps, parce que ces putains de lacets faut se les appuyer, besoin d’un peu de temps pour se poser tranquille là sur ce banc, mais ce maudit groupe a la bougeotte, impossible d’être peinard. Si tu deviens sédentaire, tu restes derrière, et tu les perds. Non seulement de vue, mais de mots, des anglais en plus, faut vachement se concentrer, mais ça vaut la peine, plein d’idées nouvelles, de surprises, de questions pertinentes et de réponses étonnantes. Je commence à l’envier, l’autre post-hippie à la veste Emmaüs, quand tu as des tongs, t’as jamais de petits cailloux qui t’empêchent d’avancer…

Mais je suis parti un peu vite, va falloir remettre un peu d’ordre dans tout ça, avant d’arriver au Mot.

Deuxième jour à Stockholm, deuxième nuit dans le bateau métallique avec la chambrée de six mecs, finalement supportable avec mes amies Quies, trésors d’ingéniosité pour ne pas se gêner, discrétion mais aussi discussions. Trajet à pied sous le soleil, puis bus, puis train dans la forêt avec parfois des vues sur le bras de mer. Les maisons se succèdent sur le côté, pas spécialement bidonville, genre cadre sup, avec pour chacune une Volvo et un trampoline en cage, c’est fou cette internationale des bobos, t’as les mêmes en France.

Puis le choc. Ces barres d’immeubles surgies du néant sous un soleil éblouissant, cauchemar d’un ilotier franchouillard à se prendre des Molotov par la vitre, sauf que ces machins ne sont pas posés dans un champ de betteraves mais dans un écrin de forêts bordées d’eau, nature sauvage puis apprivoisée jusqu’à l’obsession en cercles concentriques irriguant les espaces verts entre les immeubles. Des voitures garées autour et une large voie qui encercle le tout.

Fisksätra.

Le voilà mon Mot caillou.

J’aimerais bien en connaître la traduction. Peut-être que c’est un mot à la 1984 d’Orwell, Ministère de la Paix pour la Guerre, Petite Maison dans la Prairie pour des barres et cages d’escalier inhumaines, dépotoir où s’entassent des déracinés arrachés à leurs terres, traumatisés des guerres perdues, violences tellement subies qu’elles gangrènent tous les rapports humains. Barres d’immeubles inlassablement vues en Douce France, délires simplificateurs d’architectes et d’urbanistes qui n’y vivront jamais, Cités Radieuses du Corbu…

Nous voilà accueillis à la maison de quartier. Lena nous parle dans un américain impeccable et là, c’est beaucoup moins fluide pour moi, impossible de savoir si je suis bloqué par l’accent ou par des neurones déficients. Son acolyte prend la parole, merci, j’arrive mieux à suivre. Puis nous sortons faire notre tour dans la Zone.

Nous sommes cornaqués par des employés de la société de gestion et nous passons un bon moment dans la cité. Tout est nickel, propre, au cordeau, espaces verts entretenus maniaquement, pas de tags, pas de papiers, pas d’ordures, ni de rebuts. Comment un gestionnaire privé peut-il s’occuper ainsi d’une telle cité sans que ce ne soit au rabais ?

Pas de voitures en surface, garées en sous-sol. Les immeubles sont pimpants mais curieusement ne semblent pas très performants énergétiquement. Silence sans les voitures. Pas un cri d’enfant, l’espace est vide. Ni femmes, ni hommes, ni ados désœuvrés en sweet à capuche qui te calculent parce que tu entres sur leur territoire. Les enfants et les adolescents doivent être à l’école, les femmes dans les appartements, les hommes au travail ?

Trop beau. Étrange impression d’être un Tintin au Pays des Soviets. What’s the fuck ?

Nos accompagnants expliquent, en français hésitant pour ce marocain qui vit ici depuis des décennies. Visite de l’église-temple et future mosquée, manque plus que la synagogue pour en faire une cité œcuménique. Une supérette en réfection, peu de commerces. Un petit bout de femme au regard transperçant d’une telle énergie m’impressionne au musée humain.

Comment font-ils ? Nous tenons pour responsable de l’échec de l’intégration la conception même de ces cités hors-sol, sans vie de quartier ni commerces où s’entasse une seule classe sociale déshéritée, ghetto ferment de toutes les radicalisations, de tous les délits. Nous soutenons qu’une conception différente, une mixité sociale règlerait l’essentiel des problèmes.

Avec ses barres d’immeubles des années 1970, ses 7500 habitants de 120 nationalités et une densité (7280/km²) parmi les plus élevées du pays, Fisksätra démontre le contraire.

Comment font-ils ? Quelques bribes de réponse.

Le contenu d’abord. Le réfugié est pris en charge dès son arrivée. On lui donne les moyens de vivre et, pendant un an, il est formé à la langue, au vivre ensemble suédois, ciment de cette société, puis à l’adaptation de son métier pour la Suède. Au bout d’un an, il est autonome et a trouvé un travail.

Le contenant ensuite. Une cité bien entretenue est une cité respectée, surtout si personne ne traîne. Des bénévoles veillent, repèrent l’élément qui peut déraper, le signalent et l’aident. Un petit côté surveillance collective pas trop aimée en pays latin. Et cela fonctionne. La moitié des habitants de Fisksätra y vivent depuis plusieurs décennies.

Nous n’étions pas venus pour cela, mais cette réussite nous interroge. Pour ne pas paraître Bisounours ou Tintin, il nous faudra approfondir.

En début d’après-midi, au départ sous le soleil, à la station de train, la diversité est là. Blacks, rebeus, blancs, heure de fin de l’école. Une superbe jeune femme blonde pousse un landau. Tout est calme. Quiétude sous le soleil, je me découvre un peu trop et me chope un rhume et un mal de gorge qui vont enchanter la chambrée de mes ronflements.

Perplexes. WTF toujours ? Un peu rassurés de voir que l’éclairage de l’abri de la station de train est grillagé pour éviter les dégradations. Ouf ! Ce sont donc bien des humains…

Nous sommes revenus changés de Fisksätra. Ce drôle de phalanstère nous a imperceptiblement modifiés. Juste frôlé l’aile de l’ange chez l’humain alors que l’on se frotte si souvent à ses démons.

Le groupe s’est soudé à ce moment-là. Une bienveillance, un plaisir grandissant d’être ensemble, à échanger, à partager, à rire et papoter. Par quel miracle 15 individus disparates, femmes, hommes, de métiers, d’âges, d’univers aussi différents ont-ils pu se reconnaître et s’accepter dans toutes leurs différences au point d’avoir de la difficulté à se séparer le samedi ? Je suis venu avec mon individualisme et mes particularités, ni urbaniste ni archi ni environnementaliste, juste sympathisant, et je me souviens d’une chaleur, de rires et de discussions innombrables, parfois très loin des trames vertes et bleues, juste le plaisir de découvrir les richesses de l’autre.

Maintenant je sais. Nous avons été « Fisksätracisés ».

La Dispa’ition

Tous les matins, je pense à Georges Pe’ec. A son liv’e « La Dispa’ition. Entiè’ement éc’it sans les « e ». ‘espect. Vachement balèze. Je n’au’ais jamais pu fai’e ça. Pa’i ou t’uc obsessionnel gagné, chapeau.

Donc le matin, à chaque fois que je commence. Comme un diesel. Faut qu’il chauffe longtemps avant d’êt’e pleinement utilisable. Et ça empi’e tous les jou’s.

Quand t’es p’essé par le taf ça fait ‘âler pa’ce que tu dois attend’e. Mais je ne peux m’empêche’ de commence’ alo’s je pa’le biza’’e. Comme la vigie black des pi’ates chez Aste’ix, ceux qui se font coule’ à chaque fois. Enfin pas tout à fait pa’ce que moi c’est dans l’éc’it.

J’utilise des astuces comme les mots sans la consonne fatale. En mode liste de synonymes. Oubliés les infinitifs. Langage plus doux. Mais au bout de quelques minutes cela m’agace. Inventivité alanguie sinon bloquée. Intellect sollicité deux fois plus. Usant et souvent pas élégant.

Je peux tente’ l’appui violent gen’e g’os doigt de genda’me mais je c’ains le pi’e.

‘este le co’’ecteur o’thog’aphique mais il ne marche pas toujours, la preuve.

Avant de tout casse’, je vais faire un petit tour, histoire de décompresser.

Après la pause thé, c’est reparti normalement mais va falloir envisager une sérieuse réparation, ça ne peut pas durer, trop de temps perdu et d’agacement trouvé.

‘ujou’d’hui, c’est pi’e. Il m’en m’nque deux. Impossible de continue’ comme ç’. Demain, un peu de temps, p’omis ju’é, j’’tt’que le fo’m’t’ge.

C’ m’tin c’st l’ fin, il m’nqu’ t’ois l’tt’’. Impossibl’ d’ tout fo’m’t’’. Comput’’ out. H.S.

Put’in d’ cl’vi’’.